En tant que cycliste demeurant au Québec, j’ai l’habitude de varier les sports au fil des saisons. Non seulement, cet entraînement croisé est-il bénéfique pour le mental afin de ne pas se lasser du vélo, mais il est aussi aidant physiquement, puisqu’il permet de solliciter d’autres muscles que ceux servant à pédaler.
Depuis longtemps, ce plan variant au gré des saisons m’allait très bien… jusqu’à ce que j’aie l’idée folle de m’inscrire à un événement d’ultracyclisme en Europe à la fin mai 2024 : le BikingMan Corsica (1000 km et 20 000 m de dénivelé positif à parcourir en moins de 120 heures). Réaliser un événement de cette envergure si tôt en saison demande une planification sans faille.
Afin d’être prête le jour J à attaquer les cols européens et de m’assurer de pouvoir enchaîner des distances d’au moins 200 bornes par jour, plusieurs jours d’affilée, j’allais devoir cumuler une quantité suffisante de kilomètres à vélo, incluant beaucoup de D+.
Pour les autres participants européens, la préparation est complètement différente, puisqu’ils ont la chance de pouvoir rouler dehors beaucoup plus de mois annuellement que nous. Comment faire, donc, pour avoir un entraînement le plus spécifique possible alors que nos routes sont enneigées souvent jusqu’à la fin avril? Il existe une panoplie de formules pertinentes pour s’entraîner, mais voici la mienne.
Entraînement physique
Même si cette année, la fonte des neiges fut très hâtive et que j’ai pu fouler le bitume plus tôt qu’à l’habitude, j’ai dû trouver la motivation d’avaler des kilomètres à l’intérieur. Beaucoup de kilomètres. C’est là que Zwift est venu à ma rescousse… et Netflix!Si j’ai adoré le nouveau Climb Portal de Zwift pour cumuler du D+ et simuler les cols européens, j’ai aussi eu besoin de distraire mon attention avec des films ou des séries télé lors de mes sorties intérieures de 100 bornes et plus.
Dès février, j’ai donc délaissé tranquillement le ski de fond pour inclure une séance d’intervalles, une séance de grimpe et une séance de volume par semaine. L’idée était de rendre le processus automatique, pour laisser à ma tête le moins de place possible pour se dire que de rouler entre quatre murs est plutôt aliénant.
J’ai aussi la chance d’être instructrice de spinning à raison de quelques fois par semaine, ce qui me permet de pédaler un peu plus. L’idée était donc de varier le plus possible les déclinaisons, à condition qu’il y ait des pédales.
Puis, début mars, armée de mes pneus cloutés et de mon vélo de gravelle, je me suis habillée comme une ourse (moufles de guidon et souliers de vélo en goretex inclus) et je suis sortie rouler.
Bien que certains roulaient déjà sur leurs pneumatiques habituels, les clous m’apportaient un plus grand sentiment de sécurité lorsque la chaussée est sale et encore glacée. Si le cliquetis et la résistance de tels pneus en effraient plusieurs, dites-vous que la délivrance de rouler directement sur le caoutchouc n’en sera que décuplée!
J’avais l’objectif d’arriver à la ligne de départ avec 3000 km au compteur en 2024… j’y suis arrivée avec 5200 km (dont 1500 km à l’intérieur, excluant les cours de spinning). On peut dire que je me suis donnée!
Entraînement psychologique
Dans un événement d’ultracyclisme, la préparation mentale, c’est la clé. On peut être super bien entraîné physiquement, mais avec la fatigue et tout ce qu’il y a à gérer, le moral peut chuter drastiquement pour une peccadille et compromettre notre événement.
Quant à moi, m’entraîner psychologiquement fut assez facile : sortir rouler sous la pluie froide d’avril; confronter les forts vents d’est le long du fleuve St-Laurent; enchaîner des ascensions de côtes; tourner en rond sur une boucle de 5 km; rouler de nuit; etc.. En temps normal, la fin de l’hiver et le printemps sont des saisons assez hostiles pour les cyclistes extérieurs, alors en bref, je me suis fait violence et je suis sortie chaque fois que ça ne me le tentait pas! Je me suis aussi forcée, lors de sorties intérieures, à rouler à des heures inhabituelles.
Pour garder la motivation, j’ai pris l’habitude, depuis plusieurs années, de recenser mes données d’entraînement dans Strava (il existe plusieurs autres options, prenez celle qui vous convient). Si, pour certains, Strava semble davantage être de l’ordre du réseau social, la fonction que j’utilise le plus est celle des données compilées par semaine, que je reporte aux fins de comparaison d’une année à l’autre pour voir où je me situe à un moment précis.
Logistique et affûtage
En plus de s’entraîner mentalement et physiquement, pour accomplir un événement comme le BikingMan Corsica, il est préférable de réfléchir à la logistique et d’étudier le parcours préalablement. Dans mon cas, je suis plus à l’aise de planifier à l’avance mes hébergements, mais certains choisiront de dormir dehors ou de s’arrêter quand ils seront fatigués pour trouver où se reposer. À chacun sa tolérance au risque et à l’inconfort!
Pour ma part, comme je roule habituellement avec la majorité du peloton, je craignais de ne plus avoir de place si j’attendais pour réserver. Particulièrement sur un parcours comme celui du BMC, traversant souvent de minuscules villages et ayant des portions très reculées, je trouvais important de connaître aussi d’autres options d’hébergement si je ne pouvais respecter mon plan; j’ai donc décidé ma distance journalière (en considérant le dénivelé, bien sûr, et en me basant sur mon expérience du BikingMan Portugal), puis, j’ai noté les possibilités à plus ou moins 50 km sur la trace.
Je traînais évidemment avec moi un bivy de secours, un sac de soie et un manteau de duvet; matériel requis oblige, mais cela me sécurisait davantage de savoir qu’en dernier recours, je pouvais dormir à la belle étoile sans risquer l’hypothermie.
J’ai aussi bien pris soin de faire une période d’affûtage de deux semaines avant le jour J. J’ai donc diminué mon volume d’entraînement de 40 à 60% et aussi l’intensité de mes séances, tout en gardant quand même quelques intervalles et côtes. J’ai porté une attention particulière au sommeil de qualité et j’ai peaufiné la configuration de mon vélo, avant de le démonter.
Quelques jours avant de prendre l’avion, j’ai décalé mes heures de repas et de coucher, pour moins subir les contrecoups du décalage horaire à mon arrivée en France.
1000 km et après…?
Il y a toujours place à l’amélioration dans la préparation d’un tel défi et, surtout, une foule de leçons à tirer en en faisant le post mortem, mais à voir l’accomplissement sur mon visage en franchissant la ligne d’arrivée, je dirais que mon plan n’était pas parfait, mais que c’était tout de même un bon plan!
À en juger aussi l’avance considérable que j’avais par rapport aux délais de temps imposés pour traverser les points de contrôle, je serais assez confiante de répéter un plan similaire pour un événement futur. À vous de peaufiner le vôtre et de trouver votre intervalle de confiance à l’intérieur des limites du mauvais plan!
Geneviève Healey